lundi 27 janvier 2014

Interview intégrale du 10 janvier 2014. Retrouvez l'interview publiée par Christophe Martet ici : http://yagg.com/2014/01/11/decouvrez-la-bande-annonce-sexy-de-remi-lange-pour-le-festival-ecrans-mixtes/ 

Rémi Lange nous a accordé une interview dans laquelle il explique l'importance des festivals de cinéma queer et LGBT, donne sa vision de l'état du cinéma LGBT et parle de son rôle d'handicapé mental dans le film de Philippe Barassat Indésirables, avec Jérémie Elkaïm. 

Votre bande annonce s'inspire de l'univers de Kenneth Anger, auquel le Festival Écrans Mixtes rend hommage. Que représente-t-il dans le cinéma homo? Je ne suis pas un spécialiste de l'histoire du cinéma homosexuel, mais pour moi Kenneth Anger est l'un des pionniers du cinéma underground queer, c'est le Méliès du cinéma LGBT! Son œuvre Fireworks (1947) a révolutionné la représentation de l'homosexualité au cinéma, c'est l'un des premiers films homoérotiques, à une époque ou l'homosexualité était totalement interdite et réprimée. Ses films suivants, notamment Scorpio Rising (1964), m'ont profondément marqué quand je me cherchais, avant de trouver mon propre style, mon esthétique à moi, celle du journal-filmé construit comme un film narratif grand public.

Mais votre univers ne ressemble pas à celui de Kenneth Anger? Étant fasciné par son travail, de même que par des films comme Pink Narcissus (1971), qu'on a longtemps attribué à Anger (le film est resté signé par un certain «Anonymous» pendant longtemps avant que James Bidgood ne déclare en être l'auteur), et me disant que le style d'Anger avait été pompé de nombreuses fois, notamment par Pierre et Gilles, je suis parti dans une direction totalement opposée, le cinéma direct, le cinéma du réel, celle de l'enregistrement de la vie, brut, sans aucun travail esthétique apparent: pas de mise en scène, pas de lumières ni de costumes soigneusement élaborés comme dans les films de Kenneth Anger. Mais l'univers de James Bidgood ou de Kenneth Anger me fascinent toujours, comme celui du cinéaste français Stéphane Marti (La Cité des Neuf Portes, 1977), justement parce qu'ils me plongent dans un monde fantasmatique, surréaliste, magique… Quand l'équipe du festival Écrans Mixtes de Lyon m'a proposé de réaliser la bande-annonce de la prochaine édition sous la forme d'un petit film-hommage à Kenneth Anger, j'ai été dérouté. J'ai essayé de relever le défi et de me confronter à un cinéma qui n'est pas le mien, un cinéma esthétisant, anti-naturaliste que je ne sais pas faire. J'ai d'abord essayé de retrouver les lumières de l'univers d'Anger. Le décor du Lavoir de Lyon me convenait comme ça, comme si c'était un garage... Les lumières "boîte de nuit disco" et "sang" (le rouge mêlé au bleu) suffisaient pour moi à habiller le décor... Grâce à elles, le décor devient alors un garage fantasmé, rêvé...  Le modèle pour ce film a été Kustom Kar Kommandos datant de 1965: on est parti sur cette idée du fétichisme sexuel, avec un beau mec qui a pour objet de son désir non pas une belle voiture clinquante américaine comme dans Kustom Kar Kommandos mais une moto un peu ordinaire, un peu fade, usée, histoire d'ajouter un second degré ironique, pour ne pas se prendre au sérieux. Pour ne pas refaire dans l'homoérotisme pur de Kustom Kar Kommandos, pour être peu un plus cru, rentre-dedans (un trait de mon caractère), j'ai voulu ajouter une note plus spectaculaire, plus ouvertement sexuelle, à l'univers d'Anger qui est – c'est sans doute dû à son contexte, à son époque aussi – un cinéma subtil, tout en douceur, dans le non-dit. D'où l'idée que mon mec à moi ne se contenterait pas de caresser sa machine, mais lui ferait l'amour sensuellement. Je précise que ce n'est pas une scène gay, donc un film gay. C'est un mec qui à la fois prend, pénètre sa moto et se fait aussi pénétrer un peu (symboliquement, il se frotte comme s'il se faisait prendre sur le siège) et qui s'amuse avec tous ces objets sexuels....  Une moto n'est ni féminin ni masculin ! A la limite une machine serait plutôt féminine que masculine dans l'imaginaire collectif. Donc il serait plutôt hétéro que homo, mais le but n'est pas de savoir... J'ai fait un travelling avant qui part de la moto pour se terminer sur un gros plan sur le sexe du mec à travers le pantalon - plan qui était au début du film, coupé au montage - qui ravirait autant les mecs qui aiment leur virilité que les femmes ou les gays ! Et ce plan est l'invitation au désir : le rapport de la moto au sexe, le lien attractif entre eux est signifié par ce travelling avant. C'est un film fétichiste, sexuel ou... sexy, tout simplement !

Et c'est aussi un résumé du programme du Festival? Comme avec Ivan du festival Écrans Mixtes on avait décidé de présenter les œuvres présentées dans le cadre de la prochaine édition sous forme d'objets symbolisant le sujet de chaque film, on a introduit dans cet univers à la Anger des touches plus kitsch, plus trash et drôles, comme la sucette-vagin (pour Qui a peur de Vagina Wolf?) ou la merde de chien rappelant Divine et l'univers de John Waters, un cinéaste qui admire Kenneth Anger et que j'admire également au point de lui faire quelques clins d’œil dans mon film Mes parents en 2001. Pour la petite histoire, j'ai rencontré il y a quelques années Kenneth Anger au Centre Georges Pompidou, et lui ai fait dédicacer le DVD de ses œuvres que je venais d'acheter, comme un pur fan! J'espère qu'il verra la bande-annonce qu'on a réalisée en son honneur et qui est en ligne sur Youtube. Quel que soit ce que l'on pense du résultat final, on peut dire que ce petit film est un hommage sincère, y compris de la part de l'équipe du festival dont Ivan, et de l'acteur Charlie Danancher qui a beaucoup donné et qui va devenir un sex-symbol… au moins à Lyon !

Pourquoi est-il important d'avoir des festivals de cinéma LGBT? C'est encore et toujours très important… Au moment où dans notre pays, l'homophobie regagne du terrain (les manifs haineuses des anti-«mariage pour tous»), il est toujours d'actualité de manifester sa fierté d'être queer ou LGBT, de la revendiquer haut et fort partout où l'on peut, y compris sur un écran de cinéma: le cinéma LGBT ne doit pas rester dans le placard, dans le ghetto, là où on voudrait nous enfermer: un bon homo est un homo enfermé pour tou.te.s ces sales homophobes. Les festivals de cinéma LGBT sont en général des laboratoires de découverte, d'expérimentation en tous genres, comme l'est L’Étrange Festival et comme l'était l'émission L’œil du cyclone sur Canal Plus, dont j'ai réalisé deux numéros (Les anges dans nos campagnes et Le super 8 n'est pas mort, il bande encore!). Par ailleurs, beaucoup de festivals LGBT proposent des films qu'on ne verra jamais dans un circuit de distribution classique, que ce soit dans les salles de cinéma ou à la télévision, sauf rares exceptions comme Canal Plus qui a diffusé Omelette ou Pink TV qui a eu l'audace de diffuser mon film Devotee sur le fétichisme… des moignons!
On a tous la possibilité de mettre son film en VOD sur une plateforme, mais jamais le net ou la vision d'un film chez soi sur son écran d'ordinateur ne remplacera la rencontre physique, donc humaine, avec le ou la cinéaste, ou l'équipe du film, ce que permettent les festivals LGBT. Sans compter que l'on peut aussi rencontrer l'âme sœur ou un pote de sexe dans une salle d'un festival LGBT, ce qui n'est pas forcément déplaisant! Enfin, un festival de films LGBT peut être un moteur pour la réflexion, comme le sont le Festival Écrans Mixtes ou le festival Désir désirs de Tours, ou encore Chéries-Chéris de Paris.

Qu'est-ce qu'un bon festival selon vous? Un bon festival LGBT nous présente les homosexualités des pays étrangers, nous amenant ainsi à réfléchir sur la nôtre, sur ces évolutions et ses interconnections avec la mondialisation des modes de vie LGBT et des représentations de ceux-ci. Le festival LGBT est aussi indispensable pour renforcer les cultures homosexuelles, à condition qu'il présente des œuvres du passé, du patrimoine (via des rétrospectives), et des films non conformistes, qui cassent les barrières entre les genres, aussi bien au niveau des sexualités, des sexes qu'au niveau des formes cinématographiques. Un bon festival LGBT doit permettre l'émergence de cinéastes qui nous dérangent, nous bousculent, nous chavirent, en brisant les tabous sociaux et notre façon de voir les films et le monde dans lequel nous vivons. Cependant attention! Certains festivals s'enorgueillissent de faire le plein de spectateurs, et j'ai peur que cette optique commerciale (projeter des films qui plaisent au plus grand nombre) étouffe la création LGBT novatrice.

Est-il difficile de produire des films LGBT? Oui, ce sont des films qui sont difficilement produits, parfois même artisanalement, sauvagement et à l'arrache, sans aucun budget. Ce fut mon cas pour presque tous mes films. Des films qui sont, par leurs sujets mêmes, rejetés de la production mainstream. La réalisation d'un film à thématique LGBT ne s'est jamais faite sans problèmes d'argent dans le passé (sauf pour La Cage aux folles ou Gazon maudit qui proposaient des caricatures: on accepte de mettre de l'argent dans un film homo s'il se moque des homos…), c'est toujours le cas aujourd'hui. Pour des petites productions fauchées comme les miennes, le problème qui se pose en plus est de rencontrer son public, au sens littéral du terme. La sortie nationale en salles de cinéma est devenue impossible pour des films amateurs ou autoproduits. On peut toujours se dire que l'on peut sortir son film en DVD, mais les éditeurs DVD LGBT se raréfient ou n'éditent que des comédies romantiques niaises ou pseudo-érotiques.

Comment voyez-vous l'état du cinéma LGBT et queer aujourd'hui? À vrai dire, je ne suis plus l'actualité de ce cinéma-là, je suis un peu lassé par les thématiques LGBT dans lesquelles je me suis enfermé pendant quelques années en étant éditeur de DVD exclusivement LGBT, donc en ne voyant que ce genre de films la plupart du temps. Cependant, les films LGBT de ces dernières années, ceux que j'ai vus du moins, me font penser que, comme le reste de la société, le cinéma LGBT s'est normalisé, fondu dans la masse, bref qu'il se banalise. Or cette banalisation m'effraie. Pour moi, un cinéaste gay doit être différent des autres, proposer des images dérangeantes, qui cassent les barrières entre les genres. Les cinéastes qui s'affirment ouvertement gays et qui font des films intéressants ont du mal à produire leurs films, comme Gaël Morel ou Olivier Ducastel et Jacques Martineau, et c'est regrettable. Le cinéma LGBT comme le cinéma en général s'affadit et devient commercial.

Quels sont les cinéastes les plus novateurs en France? En France, les seuls cinéastes qui pour moi sont les plus novateurs, en proposant chacun un style extra-ordinaire, sont les suivants: Antony Hickling (Little Gay Boy), Philippe Barassat (Mon copain Rachid, Indésirables) et Yann Gonzalez (Les Rencontres d'après-minuit). Des réalisateurs qui osent une attitude queer esthétiquement formulée et décomplexée, qui décloisonnent les genres cinématographiques mais qui, malheureusement, trouvent difficilement les moyens financiers pour réaliser leurs rêves et pour sortir leurs films en salles dans de bonnes conditions, quand ils parviennent à une sortie nationale: Little Gay Boy n'a pas trouvé de distributeur pour une sortie salles en France (les distributeurs gays français n'aiment pas les films trop trash), il ne sortira qu'en DVD et VOD (chez L'Harmattan Vidéo, au mois de mars prochain).

Enfin, quelle est votre actualité pour 2014? J'ai deux projets majeurs. Deux longs métrages. D'abord réaliser un vieux projet (j'ai commencé à l'écrire en 1998!), qui a obtenu le soutien d’Émergence et de la fondation Beaumarchais: Comment faire un enfant à… Les pointillés seront remplacés par le nom et prénom de l'actrice principale, qui sera soit une ex-star du cinéma industriel commercial soit une chanteuse un peu has been. Mais, comme je n'ai pas signé avec un producteur, les agents bloquent mon scénario ou ne me répondent même pas. Difficile de le faire lire à des femmes connues. Si je ne trouve pas une célébrité, je prendrai une jeune femme qui débute et qui cherche à tout prix à obtenir son nom en haut de l'affiche, ça fait partie de l'histoire. L'histoire de deux mecs qui recherchent une femme pour leur faire un enfant, une sorte de mère porteuse. L'un est un cinéaste – je jouerai ce cinéaste – qui filme tout avec une petite caméra (ce sera un faux journal qui terminera la trilogie commencée avec Omelette et Les Yeux brouillés), l'autre est un jeune comédien. La principale difficulté pour eux est de trouver une femme qui accepte à la fois de faire l'enfant et d'être filmée, de la rencontre à l'accouchement en passant par la conception! Un film un peu barré, toujours entre le vrai et le faux. L'autre projet, intitulé pour l'instant Le Chanteur, est né de la rencontre avec un jeune chanteur de Lyon le week-end où j'ai tourné la bande-annonce hommage à Kenneth Anger: Thomas Polly, que m'a présenté Ivan d’Écrans Mixtes. L'histoire d'un chanteur en herbe gay célibataire, qui porte la perruque de sa mère décédée d'un cancer. Hébergé par sa sœur après la mort de sa mère, il quitte son village provençal pour s'installer à Paris et essayer de trouver un producteur. Après avoir goûté à la célébrité, fait quelques tubes, il connaît l'amour. Mais pas pour longtemps. Le film finira mal! J'aimerais que ce soit un film ovni, entre le documentaire et la comédie musicale mélodramatique américaine qui fait chialer! Là, j'ai la chance d'avoir rencontré Thomas Polly qui est très motivé et qui va m'insuffler toute son énergie. J'en aurai bien besoin quand je vais essayer de trouver de l'argent pour produire le film ou quand je produirai moi-même, surtout si je dois encore tout faire moi-même, du scénario jusqu'au montage en passant par l'organisation du tournage et la prise de vue. Enfin, mon actualité est liée aussi au film de Philippe Barassat, Indésirables. J'y joue en effet un petit rôle aux cotés d'Hervé Chenais, l'acteur principal de mon film Devotee. Je joue le rôle d'un mec un peu handicapé mental qui porte une minerve, je fais partie d'une bande d'handicapés physiques pour la plupart, de freaks très émouvants qui rémunèrent un jeune infirmier pour qu'il leur fasse l'amour. Cet infirmier, qui devient petit à petit prostitué, est superbement incarné par Jérémie Elkaïm [photo ci-dessous], avec lequel j'ai tourné une scène d'amour torride, d'autant plus torride que je portais une énorme minerve en plastique et qu'il faisait 50 degrés ce jour-là! Indésirables sera présenté dans le cadre du festival Écrans mixtes cette année, un festival LGBT qui ose tout montrer et tout donner, surtout du plaisir. Profitons-en tous avant qu'il ne soit trop tard… je veux dire avant la fin de ces festivals indispensables à notre culture… et avant notre mort !